Depuis trois générations (1925), Les Vergers Lafrance sont exploités par une famille de passionnés. Du grand-père Georges-Étienne, le flambeau est passé aux mains de son fils Yvon et puis celles de son petit-fils Eric qui assure maintenant la relève du terroir familial avec sa femme Julie Hubert. Au fil des ans, le domaine des Lafrance situé à Saint-Joseph-du-Lac s’est agrandi, devenant l’un des plus importants de la région des Basses-Laurentides avec ses 13 000 pommiers (dont 2 hectares biologiques), une vingtaine de variétés de pommes cultivées et près d’une trentaine de cidres et spiritueux produits chaque année.
RENCONTRE AVEC ERIC LAFRANCE
Q : Pourquoi avoir choisi de devenir producteur de cidre?
R : Au début des années 2000 j’ai acheté avec ma conjointe Julie une partie du verger de mon père et on a créé le Domaine Lafrance qui célébrera ses 20 ans cette année. Un projet qui part d’une vision que j’ai eu en regardant ce qui faisait à l’époque du côté des vignobles en Ontario. L’agrotourisme commençait là-bas et en voyant comment ça se développait, je me suis dit: « Je vais partir ça aussi au Québec! » Mais je ne voulais pas copier, je m’étais dit que je pourrais faire la même chose, mais avec la pomme! Ma conjointe n’y croyait pas au début. Je lui ai dit : « ça prendra le temps qu’il faudra, mais on va partir une cidrerie et forger l’agrotourisme autour du cidre au Québec! » J’avais envie de montrer au public que le cidre pouvait lui aussi être haut de gamme, au même titre que le vin. C’est le premier défi que je me suis lancé et j’y croyais!
Ça n’a pas été facile au début. Les gens croyaient que je faisais du vin et je leur disais : “ce n’est pas du vin, c’est du « vin de pommes »”! C’est ce qu’on répétait aux clients pour leur expliquer, car ils avaient encore en mémoire le cidre artisanal d’autrefois et ne voulaient même pas y goûter… jusqu’à ce que le cidre de glace arrive et redore l’image du cidre au Québec!
À partir de 2001, on a commencé à vendre nos cidres à la SAQ. C’était un marché qu’on voulait développer car on vendait juste à la propriété. On est rentré à la SAQ avec le cidre tranquille Légende d’automne et, à partir de 2002, on a proposé notre cidre de glace qu’on retrouve sur les tablettes de la SAQ depuis maintenant 18 ans!
Q : Comment définirais-tu le type de cidre qui est produit au domaine?
R : Je dirais qu’on fait des produits raffinés, qu’on travaille beaucoup afin de privilégier la qualité à la quantité, mais on n’est pas campé dans un style, on fait de tout! Cidre de glace, cidre tranquille, prêt-à-boire, cocktail au cidre, cidre mousseux et cidre apéritif, on produit même des cidres sur lie! On sent bien qu’il y a une tendance actuellement pour ce type de produit. On fait donc de plus en plus de petites cuvées issues de recettes que j’avais développées à l’époque et qu’on ressort maintenant pour répondre à la demande pour ce type de produit. C’est le fun de voir que les nouveaux producteurs se tournent vers ce type de cidre et contribuent à le populariser, car c’est une gamme de produits que j’ai toujours aimée faire.
Si j’avais un conseil à donner aux nouveaux producteurs, ce serait de ne pas hésiter à tester différentes recettes, c’est normal de faire des erreurs! Trouvez votre ADN, ne mettez pas vos œufs dans le même panier comme cidriculteur. Une fois que c’est fait, il ne faut surtout pas changer les recettes si celles-ci sont gagnantes!
Q : Lequel de tes cidres te procure le plus de fierté / ton cidre chouchou?
R : J’ai plusieurs coups de cœur! C’est comme demander à quelqu’un de choisir entre tous ses enfants. Ils ont tous leurs occasions de consommation. C’est sûr que le cidre de glace Domaine Lafrance arrive en tête de liste, mais mon vrai coup de cœur, c’est sans aucun doute ma première médaille : une méthode traditionnelle qui n’est plus en vente au domaine aujourd’hui, mais qui m’a permis d’apprendre et développer des cidres avec pétillant naturel en bouteille, comme le Rick Special Blend qu’on vient tout juste de sortir!
Q : Qu’est-ce qui fait de toi un bon cidriculteur
R : Beaucoup d’essais et d’erreurs! Il faut être créatif et surtout à l’écoute de notre clientèle. Faire du cidre, c’est un peu comme en cuisine ; on essaie des recettes avec différentes variétés de pommes, on assemble et on teste le produit pour arriver à la combinaison parfaite. En vendant directement à la propriété, on a la chance de pouvoir faire déguster le produit. Les commentaires des clients nous permettent de nous ajuster constamment et d’adapter nos produits. Ils nourrissent notre créativité et nous permettent de suivre les tendances du marché. Ce contact avec la clientèle est précieux. C’est vraiment ce qui m’a permis de croire en mon projet et d’améliorer nos produits années après années.
LE CIDRE DE GLACE IGP
Q : Quelle place tient le cidre de glace au domaine?
R : Le cidre de glace au Domaine Lafrance, c’est notre grande fierté! C’est réellement avec lui que notre cidrerie a pris son envol. On se rappellera que c’est grâce au cidre de glace que le cidre a gagné en popularité au Québec et qu’il a pu se démarquer au niveau international. En tant que cidriculteur, ce sont des produits qui me rendent fier, car je sais tout le travail qu’il y a derrière chaque bouteille. C’est pourquoi j’ai autant milité pour l’appellation Indication géographique protégée que nous avons réussi à obtenir en 2014. L’appellation est un gage de qualité qui certifie notre savoir-faire!
Nous avons trois cidres de glace au domaine: notre cidre de glace Domaine Lafrance, notre Cuvée spéciale et notre Tonnelet – une fusion de notre cidre de glace et d’une eau de vie de cidre.
Q : Cryoextraction ou cryoconcentration?
R : En fait, on utilise les deux techniques, mais principalement la cryoconcentration utilisée pour la production de notre cidre de glace Domaine Lafrance. La cryoextraction, on en fait aussi mais à plus petite échelle pour notre Cuvée spéciale et d’autres petites cuvées. On a deux presses à raisins qui nous permettent de presser de manière artisanale; une méthode que j’ai toujours voulu préserver à la propriété, mais qui nécessite beaucoup plus de travail… et de temps!
Q : Quelles variétés de pommes sont utilisées pour vos cidres de glace?
R : La McIntosh, la Cortland, la Spartan et la Golden Russet principalement. Il y a dix ans, on a planté de nouvelles variétés destinées au cidre de glace avec lesquelles on va commencer à travailler: la Diva, la Eden et la Fortune. Ce sont 3 variétés tardives qui restent dans les arbres jusqu’en janvier. Le but est d’être capable de faire de la cryoextraction en plein hiver et en même temps, ça nous permet d’avoir des pommes tardives pour l’autocueillette jusqu’à la fin octobre. On peut ainsi rentabiliser notre verger plus longtemps!
Q : À ton avis, quel est l’avenir du cidre de glace au Québec?
R : C’est un classique qui est là pour rester! Même si l’engouement pour le cidre de glace n’est plus le même qu’au début des années 2000, c’est inconcevable pour moi de ne pas continuer à en produire; c’est dans notre ADN! C’est un peu comme la pomme McIntosh: on ne peut pas l’enlever des tablettes même si la honeycrisp gagne en popularité. Et comme dans toutes choses, le marché suit des vagues; la tendance au cidre de glace va revenir. Je suis confiant!
Ceci dit, ici à la propriété, les ventes de cidre de glace n’ont jamais diminué. On vend les mêmes quantités qu’à l’époque et je dirais même que ça augmente un peu plus chaque année! Quand on le fait déguster au domaine, c’est bien rare que le client va repartir sans une bouteille de cidre de glace. C’est un incontournable; un produit haut de gamme qui nous distingue depuis 20 ans!
D’ailleurs, on envisage même de sortir un nouveau cidre de glace! Ce serait une nouvelle cuvée spéciale produite en cryoextraction! D’ici 4 à 5 ans, j’ai confiance que l’engouement pour le cidre de glace reviendra. Je vois l’avenir du bon côté!
LE CIDRE BIOLOGIQUE
Q : Quelle est la place du bio à la cidrerie?
R : On a trois produits certifiés biologiques; notre cidre pétillant Tin Toé, notre cidre tranquille BIO et notre dernière nouveauté: le cidre pétillant gazéifié BIO en canette!
R : Quand notre clientèle a commencé à demander du bio, on a été à l’écoute et on est passé à l’action! On a commencé le processus en 2012 avec une parcelle mature de 2 hectares. On a dû se doter d’équipements spécifiques pour nos traitements bio et traverser toutes les étapes de formation, d’apprentissage et de certification. Ce projet nous a amené à travailler en culture raisonnée pour le reste du verger et j’aime ça! On le fait aussi pour le sol, l’environnement et la santé de tous. On pense même à agrandir la parcelle bio!
C’est sûr que certains producteurs vont trouver ça lourd de devoir se soumettre au processus de certification bio, mais de mon côté j’en apprécie toutes les étapes, car j’apprends constamment. Je vois ça comme un sportif qui doit s’entraîner tous les jours pour se surpasser. C’est ce qui se passe avec le bio: on est en train de s’entraîner, comme nous l’avons fait pour le cidre de glace à nos débuts!
Q : Ta vision du cidre au Québec... dans 5 ans?
R : Je dirais que je n’ai pas de vision claire, car ça bouge beaucoup en ce moment; il y a tellement de nouveaux cidres et de nouvelles cidreries qui émergent. C’est un peu comme les distilleries! Le marché est sous l’influence d’une jeune génération de producteurs qui popularisent présentement le cidre sur lie; un produit auquel je croyais beaucoup au début des années 2000. J’avais d’ailleurs développé ma propre recette, mais personne n’en voulait à l’époque. Ha! Ha! Donc, je trouve ça bien de voir l’engouement autour de ce type de produit qui revient sur les tablettes. Il faut juste faire attention dans cette effervescence que la qualité soit toujours au rendez-vous dans la bouteille.
En plus de ça on voit aussi la popularité des cidres en canettes monter en flèche. C’est un beau terrain de jeu, mais le marché des prêts-à-boire est de plus en plus diversifié. Que ce soit les bières, les cidres ou les cocktails en canettes, c’est difficile de se tailler une place. Nous sommes heureux d’offrir certains produits en exclusivité à notre boutique! Ma vision pour les prochaines années, c’est de continuer à démystifier le cidre et d’offrir un produit de qualité avec des recettes »capotées ». Même si se faire une place sur les tablettes reste un défi, on fait des choix réfléchis pour avoir notre part de marché. On continue à développer nos relations avec les petites épiceries fines et les détaillants spécialisés qui seront toujours là pour encourager les petits producteurs et produits artisanaux. Mais si tu as un profil comme le nôtre avec une production qui dépasse les 250 000 litres, avec 25 hectares de pommes et 2500 coffres à presser chaque année, ça prend du volume! C’est d’ailleurs pour cela qu’on s’est tournés vers la distillerie afin de pouvoir optimiser nos 25 hectares de pommiers et produire en parallèle des produits raffinés qui nous permettent d’atteindre un autre marché.
Bref, il y a un beau terrain de jeu pour l’avenir, c’est certain. Chaque producteur va faire sa place et j’espère que tous continueront de produire des produits de qualité pour préserver notre savoir-faire et continuer à offrir des cidres qui nous distinguent!
Entrevue éclair :
Q : Ta pomme à cidre préférée?
R: La golden Russet! On la retrouve dans nos produits Domaine Lafrance, Cuvée spéciale Lafrance, Jardin d’Eden et le cidre brut pétillant naturel le Rick Special Blend
Q : Un producteur qui t’inspire?
R : J’ai toujours aimé le travail de la cidrerie Du Minot. Quand j’ai commencé à produire du cidre, nous étions très peu de producteurs au Québec. Je me rappelle avoir goûté leurs cidres et m’être dit : “ Wow! Il font du cidre et tabarnouche, c’est de la haute qualité! ». La cidrerie Du Minot a donc toujours été une référence pour moi en matière de goût et de qualité!
Q : Ton cocktail à base de cidre préféré?
R : Je ne suis pas très cocktail à la base, je préfère les produits «natures», mais il y a une recette toute simple que j’aime bien : tu mets deux onces de cidre de glace dans un verre avec un once d’eau de vie de pomme et tu ajoutes un zeste ou quartier d’orange. C’est super bon!
Q : Ton accord préféré avec le cidre de glace?
R : Un classique qui ne se démode pas : le fromage OKA L’Artisan et notre cidre de glace classique Domaine Lafrance. Autrement, j’aime bien le proposer à table avec une entrée de pétoncles ou de fruits de mer.
Pour ce qui est de notre Cuvée spéciale, j’aime l’accompagner d’un dessert ou d’un foie gras qui se marient parfaitement aux saveurs de pommes cuites de ce cidre produit en cryoextraction. C’est du bonbon!
* Le contenu de cette entrevue a été édité pour en faciliter la lecture.
DOMAINE LAFRANCE
1473 Chemin Principal
Saint-Joseph-du-Lac, Québec
J0N 1M0
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